Est-ce possible de porter atteinte à la réputation d’une personne qui est décédée ?
Nous répondons à cette question, par le biais d’une affaire où une personne se fait poursuivre par la famille d’un défunt après avoir écrit des commentaires diffamatoires sur Facebook.
Quelques exemples de condamnations pour atteinte à la réputation sur Facebook sont mentionnés dans ce texte.
Les faits
Le 18 mars 2017, un ancien policier et enquêteur pour la Ville de Trois-Rivières décède.
Il laisse alors dans le deuil, son épouse et leurs trois enfants.
En 2016, alors que son état de santé et celle de son épouse se détériorent, le défunt décide de se départir de sa petite chienne nommée Dolly.
Alors que son épouse et lui sont chez le vétérinaire pour faire euthanasier Dolly, une employée décide d’adopter la chienne.
Le 28 juin 2017, trois mois après le décès du policier, cette employée du vétérinaire écrit un message sur Facebook avec des photos de la chienne Dolly.
Dans son message sur Facebook, elle écrit notamment que le policier a battu Dolly pendant plusieurs années.
Elle ajoute également ce qui suit :
a femme nous a parlé dernièrement, a nous en a compté des belles…Sur skui fesait à Dolly
Plusieurs personnes commettent alors ce message et font écho au fait que la chienne aurait été battue par le policier.
Le compte Facebook sur lequel est publié le message compte alors 1 400 amis et il est ouvert au public.
Lors du procès, la femme du défunt mentionne que l’employée du vétérinaire n’a jamais communiqué avec elle avant d’écrire son message sur Facebook et qu’il est faux de prétendre qu’elle aurait pu lui raconter quoique ce soit en lien avec la manière dont son mari aurait pu traiter Dolly.
Elle prétend plutôt que le policier décédé n’a jamais maltraité Dolly et qu’il l’aimait beaucoup.
L’épouse du défunt et deux de leurs enfants poursuivent l’employée du vétérinaire pour atteinte à la réputation, il lui réclame chacun 4 000 $.
Décision
Le juge rappelle d’abord que la loi accorde une protection contre l’atteinte à la réputation, par le biais de l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne, et des articles 35 et 1457 du Code civil du Québec.
Il cite ensuite une décision de principe rendue par la Cour suprême du Canada en matière d’atteinte à la réputation et de diffamation, l’affaire Prud’homme, dont voici un extrait intéressant reproduit par le juge :
la faute en matière de diffamation peut résulter de deux types de conduites, l’une malveillante, l’autre simplement négligente :
La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s’attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l’humilier, à l’exposer à la haine ou au mépris du public ou d’un groupe.
La seconde résulte d’un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a, malgré tout, porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie.
[…]
À partir de la description de ces deux types de conduite, il est possible d’identifier trois situations susceptibles d’engager la responsabilité de l’auteur de paroles diffamantes.
La première survient lorsqu’une personne prononce des propos désagréables à l’égard d’un tiers tout en les sachant faux. De tels propos ne peuvent être tenus que par méchanceté, avec l’intention de nuire à autrui.
La seconde situation se produit lorsqu’une personne diffuse des choses désagréables sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses. La personne raisonnable s’abstient généralement de donner des renseignements défavorables sur autrui si elle a des raisons de douter de leur véracité.
Enfin, le troisième cas, souvent oublié, est celui de la personne médisante qui tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l’égard d’un tiers
Le juge cite également la décision Davis c. Singerman dans laquelle sont recensés des cas d’atteinte à la réputation sur Facebook et les montants accordés en dédommagement aux victimes.
Dans Lapierre c. Sormany, une somme de 20 000 $ est accordée au célèbre journaliste et politicien, aujourd’hui décédé, Jean Lapierre à cause d’une publication qui portait atteinte à sa réputation et qui a été disponible pendant 4 jours sur un compte Facebook accessible au public.
Dans Carpentier c. Tremblay, une somme de 6 500 $ est accordée pour atteinte à la réputation à cause d’une publication Facebook dans laquelle une personne met la photo de la victime à côté de celle d’un singe et écrit : « Vous ne trouvez pas une ressemblance ? ». Ce commentaire a été visible pendant 2 semaines à 42 personnes.
Dans Lapointe c. Gagnon, une somme de 15 000 $ est accordée à la directrice d’un CPE et au CPE après que le parent d’un enfant qui fréquentait le CPE a écrit sur Facebook des propos portant atteinte à la réputation de la directrice et du CPE.
Dans 9080-5128 Québec inc. c. Morin-Ogilvy, une somme de 10 000 $ est accordée à deux victimes d’atteinte à la réputation sur Facebook, alors que la publication a été disponible pendant 2 jours à 426 personnes, mais qu’elle n’a été vue que par quelques-unes d’entre elles.
Après avoir cité ces exemples d’atteinte à la réputation sur Facebook, le juge rappelle ce qui suit :
Il est bien établi en jurisprudence qu’une atteinte à la réputation ou une diffamation peut être faite par l’intermédiaire d’un compte sur un réseau social.
Enfin, il explique que la succession de la personne décédée ne peut pas réclamer des dommages pour atteinte à la réputation, mais il mentionne que :
une atteinte à la réputation d’une personne décédée peut permettre à un tribunal d’accorder des dommages aux membres de la famille.
En clair, ça veut dire qu’il n’est pas possible de demander des dommages à la place du défunt, mais puisque les membres de la famille subissent des dommages personnels suite à l’atteinte à la réputation de cette personne, ils ont droit d’être indemnisés.
Le juge conclut finalement que dans les faits, les enfants ont subis des dommages moraux suite à l’atteinte à la réputation de leur père, et il en vient à la même conclusion pour l’épouse.
Il accorde 2 500 $ à l’épouse, et 1 500 $ à chacun des deux enfants.
Décision : Bergeron c. Landry-Beaudin
Commentaires
À la lumière de cette affaire, nous pouvons conclure qu’une personne qui porte atteinte à la réputation d’une personne décédée peut être condamnée à payer une somme d’argent aux membres de la famille du défunt.
Nous pouvons également conclure qu’il faut être prudent avec ce que l’on écrit sur les réseaux sociaux!
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