Un homme demande l’annulation de la pension alimentaire de sa fille majeure à cause de son ingratitude envers lui.
Découvrons cette affaire intéressante, qui reprend certains des principes applicables à l’annulation d’une pension alimentaire pour cause d’ingratitude de l’enfant majeure et qui réfère à quelques exemples.
Les faits
Extrait de l’affaire Droit de la famille — 191023
Le 13 décembre 2018, un père demande l’annulation de la pension alimentaire de sa fille de 22 ans.
Le père en question paie une pension alimentaire à sa fille depuis 19 ans.
Lors de son témoignage, il donne les détails suivants :
- Sa fille a obtenu un diplôme d’études collégiales pré‑universitaire, en sciences humaines, en mai 2016
- Sa fille a également complété un DEC en techniques d’éducation spécialisée, le 22 mai 2018, ce qui lui permet d’occuper un emploi rémunérateur
- Il n’a eu que trois contacts fort désagréables avec sa fille depuis la période des Fêtes 2014, à savoir :
- lors d’une soirée de Noël 2014, sa fille lui a lancé au visage des substances corporelles
- Vers janvier 2017, sa fille s’est emportée contre lui lors d’une rencontre (au restaurant McDonald) visant à refaire les liens entre eux
- Vers juin 2018, peu de temps après l’obtention de son second diplôme, sa fille lui a mentionné «mon vieux criss, tu vas payer jusqu’à mes 25 ans»
- Sa fille refuse tout contact avec lui et le méprise de façon soutenue, n’ayant d’ailleurs jamais pris de ses nouvelles pendant les 17 mois où il s’est trouvé fort malade, de décembre 2016 à mai 2018
- Cette attitude ingrate de la part de sa fille s’est toujours maintenue, malgré le paiement de la pension alimentaire à son bénéfice et le fait qu’il ait versé huit tranches de 2 000$ à son régime d’épargne études
- Ce comportement de sa fille affecte sa santé de façon significative et provoque chez lui des crises d’anxiété, au point où il a dû consulter une travailleuse sociale pour lui venir en aide
La décision
Après avoir entendu le témoignage du père, le juge rappel d’abord que la loi prévoit que :
l’enfant, à tout âge, doit respect à ses père et mère
Article 597 du Code civil du Québec
Il cite ensuite une décision de principe de la Cour d’appel qui énonce ce qui suit :
la jurisprudence reconnaît toutefois que l’ingratitude caractérisée de l’enfant majeur envers le parent débiteur peut être sanctionnée en lui refusant la pension alimentaire à laquelle il aurait autrement droit
Droit de la famille — 191023
Le juge réfère ensuite à quelques exemples de dossiers dans lesquels les pension alimentaire ont été annulés à cause de l’ingratitude de l’enfant.
Exemples
Voici un extrait l’affaire L. (J.-P.) c. L. (R.), mentionnée par le juge :
Le père a donné d’autres exemples de comportement déplaisants mais le sommet de la preuve se trouve dans le témoignage de la nouvelle conjointe (depuis juin 2000) du père qui habitait avec elle chez les parents de celle-ci car le couple avait peur et était gêné d’aller à l’appartement à cause du comportement du fils qui en était devenu le maître, sans toutefois faire le ménage. Son témoignage plein de candeur, est impressionnant.
L’appartement était malpropre, alors que le père est une personne très méticuleuse de sa personne. Les deux craignaient l’humeur du fils. Le fils pouvait être super gentil ou très agressif. Un samedi midi, elle rencontre le père qui était en état de déconfiture. «T’é rien qu’un hos … de chien», s’était-il fait dire. «Tu vas payer mon chien. Ce que maman a fait, t’as rien vu.»
C’était l’enfant-roi avec un père qui était son cendrillon, dit-elle.
Le père mit une note dans la porte alors que le fils était à l’école de radio:
(Nom du garçon) Suite à ce qui s’est passé ce week-end et ton non-respect habituel; tu n’habites plus ici, en d’autres mots, tu es dehors; tout ça pour ton bien et le mien. Prends rendez-vous pour récupérer tes choses. (Nom du père).
Le fils prit rendez-vous et vint deux jours plus tard. «T’es rien qu’un écœurant de chien sale. Tu vas payer. T’es rien qu’un hos …. de fifi», dit-il à son père qu’il bouscula avec son torse. Le père, qui refusait de laisser aller l’ordinateur, appelle les policiers locaux. La nouvelle conjointe, une jeune femme de 27 ans, de nature effacée, a tenu à être présente lors de la visite du fils pour être un témoin discret assis sur le sofa.
Son imitation spontanée à la Cour des propos châtiés et doucereux du fils à l’arrivée des policiers est étonnante, côté ressemblance, avec la teneur et la douceur des propos du fils quand il a témoigné devant le soussigné, en l’absence de la conjointe:
«Écoutez monsieur l’agent, je ne suis qu’un étudiant qui demande juste à reprendre mon ordinateur, dont j’ai besoin pour faire mes études» pour ensuite faire un bras d’honneur au père, une fois les policiers partis.
La preuve est très prépondérante que le fils a probablement une personnalité Jeckill & Hyde, qui peut venir de sa maladie ou de la tension vécue dans cette famille, ou de l’usage régulier de stupéfiants.
Malheureusement, l’attitude du fils n’est pas que situationnelle ou ponctuelle. Elle est constante malgré toutes les demandes de redressement adressées par le père au cours des années. C’est là que le fils a tort dans son attitude. Ses écarts lui ont été signalés à de nombreuses reprises. Si pendant un certain temps, on a pu dire que c’était la faute de la nature, ce n’était plus le cas au cours des derniers mois de la cohabitation père-fils.
Le père a eu ses torts mais il a droit à un minimum de respect. S’il peut être appelé à payer une pension après l’âge de majorité d’un enfant, le respect dont parle l’art. 597 de l’enfant à ses père et mère, ne cesse pas à l’âge de la majorité.
Ce père, qu’on a menacé, bousculé et envers qui le fils a manqué de respect en le traitant de moins que rien, a le droit, pour une question de principe et de dignité, de refuser de payer la pension alimentaire demandée.
Voici un extrait de l’affaire V.(O.) c. M.(G.), mentionnée par le juge :
Les enfants, même majeurs, lorsqu’ils peuvent être considérés comme étant « à charge », ont des droits, notamment celui de réclamer et d’obtenir l’aide financière de leurs parents.
Malheureusement, et ils l’oublient trop souvent, ils ont aussi certaines obligations, notamment celle de déployer les efforts requis pour atteindre leur autonomie.
Le Tribunal est aussi d’avis qu’il est élémentaire qu’ils témoignent d’une certaine reconnaissance, sinon de respect, à l’égard de leur pourvoyeur.
Sans exiger d’eux de grandes démonstrations de reconnaissance et d’affection, il est élémentaire qu’ils tiennent leurs pourvoyeurs informés à tout le moins généralement, de l’utilisation des fonds qu’ils reçoivent, des résultats de leurs études, de l’évolution de leur carrière et de leurs projets.
N… n’a pas contredit le témoignage de son père à l’effet qu’en 1999, elle lui ait « demandé » de ne plus lui adresser la parole. Elle n’a pas non plus nié le fait qu’elle ne l’a jamais tenu informé de son évolution scolaire, de ses projets, de ses revenus, etc.
Même si elle avait la possibilité de justifier sinon d’expliquer son attitude, elle n’a pas jugé à propos de le faire « dans les règles », c’est-à-dire à la Cour.
Il n’est pas exclu qu’en raison d’événements ou incidents particuliers, elle ait été, à l’époque, justifiée de rompre toutes relations avec lui, mais encore, lui fallait-il qu’elle les fasse connaître au Tribunal, ce qu’elle n’a pas fait.
Il est possible que M. M… ait eu à l’égard de N… ou de sa mère, des attitudes ou un comportement qui l’aurait blessée ou traumatisée et qui pourraient expliquer sa décision de rompre avec lui. Le Tribunal l’ignore.
En l’absence de toute preuve sur cette question, le Tribunal ne peut que constater qu’elle a unilatéralement rompu toutes relations avec son père, tout en exigeant de lui, qu’il défraie une partie de ses frais de subsistance.
Voici un extrait de la décision Droit de la famille — 151414, mentionnée par le juge :
Le père, tout comme la mère, n’a qu’un seul enfant. Ils lui souhaitent le meilleur pour qu’il prenne son envol dans la vie. Ils n’ont ménagé aucun effort.
Or, le comportement de l’enfant n’est simplement assorti que d’impolitesses occasionnelles. Le Tribunal est face à une enfant qui n’est pas consciente des efforts déployés par son père pour lui rendre la vie plus facile compte tenu notamment de sa réussite scolaire qui se fait attendre. Plus le père semble vouloir l’aider, plus l’enfant lui tourne le dos.
Voyons quelques exemples.
Dès que l’enfant atteint l’âge de 16 ans, Monsieur lui achète un véhicule automobile usagé. Pour l’y faire contribuer, il lui demande la somme de 500 $ qu’elle avait reçue en cadeau. Cette contribution de l’enfant n’est que peu de choses pour payer les 6 500 $ nécessaires pour ce véhicule. Le père paie la différence. Ce véhicule devrait à ses yeux motiver l’enfant à aller à l’école. L’automobile est immatriculée au nom de Monsieur.
Deux ans plus tard, afin que l’enfant ne se retrouve en panne avec sa voiture pendant les 3 semaines où Monsieur travaille à l’extérieur, ce dernier prend la décision de changer l’automobile pour une voiture neuve. L’enfant participe au choix. Monsieur s’engage dans un contrat de location pour cette voiture.
Plus tard, il achète des pneus d’hiver de couleur orange pour répondre aux envies de l’enfant.
En échange de cette nouvelle voiture, Monsieur convient avec l’enfant qu’elle passera chez-lui l’aspirateur pour lui apprendre le sens des responsabilités. De fait, l’enfant ne passera l’aspirateur que pendant 15 minutes, une seule fois.
Peu de temps après la location de l’automobile, l’enfant, qui a un caractère colérique, entre en furie dans la maison et vocifère contre la nouvelle voiture car elle ne répond pas à ses besoins. Le lendemain, une fois la tempête terminée, le père, en quelques secondes, réussit à coupler le téléphone cellulaire de l’enfant à la radio de la voiture qui était la cause des événements de la veille. Après avoir demandé à son enfant de s’excuser car elle avait erronément rompu elle-même cette fonction électronique, le père ne reçoit aucune réponse.
Autre fait représentatif de cette relation : avec son enfant, Monsieur achète la robe de bal de son choix dès le début de l’année scolaire 2013-2014. Viennent avec la robe, les souliers et aussi une autre robe de fin de soirée. Il voulait en faire une princesse le soir de son bal de finissants. Dès le retour à la maison, c’était le cauchemar. La robe de bal n’est déjà plus au goût de l’enfant et la reconnaissance n’est pas davantage au rendez-vous.
Le Tribunal retient ces faits représentatifs comme ceux d’un père qui supporte son enfant mais qui, par ailleurs, ne lui manifeste aucune reconnaissance et qui, au surplus, explose à la moindre contrariété.
Lorsqu’elle passe ses 2 semaines avec son père, l’enfant affiche souvent un visage peu respectueux de son père. Les injures et insultes pleuvent de temps à autre.
L’enfant prétend avoir été expulsée de la maison de son père par ce dernier. Après avoir entendu Monsieur, il ne fait aucun doute que l’enfant, impulsivement, a fait le choix de le quitter.
Le père a alors repris la voiture qu’il avait mise à la disposition de son enfant.
Après avoir pris la décision de demeurer chez sa mère, l’enfant a tout fait pour éviter son père. Entre le 7 décembre 2014 et le jour de l’audition, il n’y a eu aucun contact entre le père et l’enfant.
Pire, les messages-texte transmis par l’enfant à l’ami du père sont insultants et grossiers à l’égard de celui qui, jusque là, lui versait une pension alimentaire.
Lors de l’audition, l’enfant ne trouve rien de positif dans tout ce que son père a fait pour elle. La tension est palpable.
Malgré cela, le Tribunal demeure convaincu que le père est encore capable de pardonner les excès de langage et de comportements de son unique enfant. Un jour, peut-être, l’enfant reconnaîtra les efforts de son père pour l’emmener vers l’âge adulte et l’autonomie.
Les gestes caractérisés d’ingratitude de l’enfant sont tels que le Tribunal considère que, nonobstant ce qui a été jugé quant aux études, son père, pourvoyeur d’aliments, n’est plus tenu à ses obligations légales.
Voici un extrait de l’affaire Droit de la famille – 07686, mentionnée par le juge :
Le demandeur doit commencer à travailler très tôt le matin et, à quelques occasions, il demande à sa mère de le reconduire à son travail. À quelques reprises, il demande à sa mère de le réveiller mais lorsqu’elle veut le réveiller, le demandeur lui dit « laisse-moi tranquille, fiche-moi la paix, t’as pas à gérer mon emploi, laisse-moi faire ».
Au cours de la soirée, il n’est pas à la maison.
Il y a eu plusieurs discussions entre le demandeur et la défenderesse et cette dernière déclare que son fils est très colérique et qu’il manifeste beaucoup d’agressivité envers elle. Il sacre et il l’insulte. Il lui a dit : « ta gueule, tu es une c… de folle, tu vas me c… la paix, tu ne me diras pas quoi faire, va consulter, je ne veux pas te voir, je ne suis pas venu ici pour toi, je suis venu ici pour les autres, je ne veux pas te voir la face, débarrasse ». Une telle attitude durait depuis longtemps.
Au cours de la première semaine de juin, il fut question de l’assiduité à son emploi et de son échec scolaire. Au cours de cette discussion, le demandeur a monté le ton et lui a dit : « laisse-moi la paix, tu n’as pas à me dire quoi faire, c’est moi qui décide, je suis fatigué, je ne suis pas obligé de travailler, ce n’est pas toi qui va décider. »
La défenderesse lui a alors dit que c’était terminé, qu’elle lui donnait une semaine pour prendre ses choses et de se trouver un emploi. Le demandeur répliqua qu’il pouvait rester où il voulait, qu’il avait des amis qui le voulaient. Il s’est alors approcher à environ un pouce du visage de sa mère pour lui dire « ce n’est pas une semaine dont j’ai besoin, c’est deux ». Elle a maintenu qu’il bénéficiait d’une semaine.
Au cours de la semaine suivante, le demandeur est revenu vivre chez la défenderesse sans faire quoi que ce soit. Le samedi, la défenderesse est revenue à la charge en lui disant qu’il n’avait pas encore rien fait.
Le dimanche matin, elle s’adresse à lui et elle lui demande de le rencontrer dans un café à proximité de chez elle.
Arrivés au café, ils se sont assis à une table et elle croyait être en mesure de discuter de ce qu’il était pour faire, de ses projets futurs. Le demandeur s’est mis à insulter sa mère devant les autres clients du café et ce, même si sa mère est une cliente régulière de l’établissement. Il l’a traitée « de folle, de c… de folle, tu m’as toujours nuit, tu en as toujours voulu à mon père, tout est de ta faute, c… moi la paix, je ne veux rien avoir à faire avec toi, quand tu me parles, je ne t’écoute même pas, arrête avec tes consignes ».
La défenderesse s’est levée, a payé la note et elle s’est rendue chez elle. Cinq minutes plus tard, il est revenu à la maison comme si rien n’était. Le mardi suivant, elle est allée reconduire son fils chez des amis.
Malgré son départ, son employeur a laissé plusieurs messages dans la boîte vocale de la défenderesse parce qu’il cherchait le demandeur. La dame où le demandeur avait loué une chambre s’est présentée à la résidence de la défenderesse pour réclamer le coût de la location parce qu’elle ne pouvait rejoindre le demandeur.
À la fin du mois d’août 2006, il s’est présenté chez la défenderesse et il a parlé à ses sœurs. La défenderesse fut dans l’obligation de s’absenter et à son retour, le demandeur était au sous-sol. Elle lui a demandé de quitter et encore une fois le ton a monté et, même rendu dans la rue, il criait toujours.
La défenderesse a pris connaissance des demandes de son fils. Elle n’a pas objection à aider un enfant aux études en autant que l’enfant soit sérieux dans ses études, que l’enfant ne soit pas aux études simplement pour que les parents paient, l’enfant ne doit pas être aux études pour s’amuser. Au cours des deux dernières années, le demandeur n’a jamais démontré de sérieux dans ses études. De plus, elle n’est pas d’accord de payer pour les loisirs et des objets de luxe.
Il est important de citer un passage du témoignage de la défenderesse :
Quand on écœure quelqu’un, sans arrêt, sans aucune politesse, sans regret, puis avec haine et colère, je comprends mal quand on vient demander des cadeaux de Noël, des cadeaux de fête, et qu’on demande, parce qu’on sait que la maman valorise l’école, des sous alors qu’on ne fait pas d’efforts. X est intelligent, et ça tout le monde le sait, mais il prend pas ses responsabilités. Il fait la victime et il veut utiliser le fait que j’ai une formation académique puis je mets en primeur l’école.
Elle est surprise des sommes que le demandeur reçoit actuellement, qu’il ait pu se permettre cinq semaines de vacances alors qu’il a un logement à payer et qu’il ait tant de dépenses.
Le demandeur a été ingrat envers sa mère et il n’avait pas raison de la traiter comme il l’a fait. Le Tribunal considère inconcevable que le demandeur puisse traiter sa mère de cette façon et ce, non seulement dans l’intimité de la résidence de la mère mais également en public. En agissant ainsi en public, le demandeur a volontairement voulu humilier sa mère.
Finalement, dans l’affaire qui nous concerne, le juge conclut que le comportement de la fille à l’égard de son père justifie l’annulation de la pension alimentaire pour ingratitude. Il mentionne également que le fait que l’enfant ait presque 23 ans et qu’elle ait deux (2) diplômes lui permet vraisemblablement de subvenir à ses besoins.
Commentaires
Cette affaire nous donne quelques exemples concrets de cas où il est possible de faire annuler une pension alimentaire à cause de l’ingratitude d’un enfant. Évidemment, chaque cas, et chaque dossier est différent.
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Au plaisir!