Il arrive parfois qu’un logement soit dans un tel état de dégradation que le locataire n’a d’autre choix que de l’abandonner pour protéger sa santé, ainsi que celle de ses proches.
Dans ce cas, le locataire doit obligatoirement respecter certaines formalités.
Aussi, lorsque l’on parle d’abandon de logement, il est impossible de ne pas discuter de la question du déguerpissement, soit l’abandon d’un logement sans droit.
En effet, même si le locataire remplit toutes les formalités requises lors d’un abandon de logement, il se fait justice lui-même, car il quitte le logement, souvent en urgence, avant que le Tribunal administratif du logement ait pu jugé de la nécessité ou de la validité de l’abandon.
Ainsi pour éviter de se faire reprocher un déguerpissement, le locataire qui souhaite se prévaloir de son droit à l’abandon de logement, doit s’assurer de bien connaitre les formalités requises, d’une part, mais également les motifs qui justifient un abandon, d’autre part.
Dans ce texte, nous vous donnons une foule d’informations utiles sur l’abandon de logement et sur le déguerpissement du locataire.
L’abandon de logement
La loi prévoit qu’un locataire peut abandonner un logement qui est impropre à l’habitation.
Article 1915 du Code civil du Québec
La loi définit également ce qu’est un logement impropre à l’habitation :
Est impropre à l’habitation le logement dont l’état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou celui qui a été déclaré tel par le tribunal ou par l’autorité compétente.
Article 1913 du Code civil du Québec
Pour bénéficier du droit d’abandon de logement, le locataire doit donc avoir un logement qui est impropre à l’habitation et que ce n’est pas par sa faute.
Le Tribunal administratif du logement précise que pour démontrer que son logement est impropre à l’habitation, le locataire doit démontrer :
1) La présence d’un contaminant au logement, comme de la moisissures |
2) Un impact de ce contaminant sur l’état de santé des occupants |
La seule présence de moisissures ou de contamination fongique peut être insuffisante, si le Tribunal administratif du logement n’est pas en mesure d’établir un lien direct avec l’impact sur la santé ou la sécurité des occupants.
Par ailleurs, le Tribunal administratif du logement a établi et applique une analyse en cinq (5) étapes afin de décider si un logement est impropre à l’habitation, les voici :
Premièrement, il vérifie si le problème est relié à l’immeuble, ou si par exemple, les problèmes de santé dont se plaint un locataire seraient liés à une autre cause, comme son travail, par exemple. |
Deuxièmement, il vérifie si le locataire a dénoncé l’état du logement au propriétaire avant de l’abandonner. |
Troisièmement, il vérifie si le propriétaire a pris des mesures suite à cette dénonciation. |
Quatrièmement, le Tribunal exigera une preuve médicale quand l’état de santé est en cause dans l’abandon. |
Cinquièmement, le Tribunal évaluera s’il y a un lien entre l’état du logement et les raisons qui poussent les locataires à quitter le logement. |
La preuve
Le locataire qui abandonne son logement a donc tout avantage à obtenir une preuve médicale, mais aussi un rapport du service d’inspection de la Ville, ou encore, une expertise de la qualité de l’air. Ça dépend des cas.
L’important, c’est que le locataire ait une véritable preuve, concrète que logement représente une réelle menace pour la santé et la sécurité des occupants ou du public.
Autrement, son abandon risque d’être jugé invalide et considéré comme un déguerpissement avec les conséquences que cela implique.
6871313 Canada inc. c. Léandre
Il faut noter qu’un billet médical fournit par un psychologue n’est généralement pas accepter pour démontrer que le logement représente une réelle menace pour la santé et la sécurité d’un locataire.
Basillais c. Canadian International Finance Inc.
L’avis
Le locataire qui souhaite abandonner son logement doit obligatoirement transmettre un avis à son propriétaire, et ce, avant l’abandon ou dans les 10 jours qui suivent.
Article 1915 du Code civil du Québec
Le Tribunal administratif du logement propose un modèle d’avis d’abandon de logement.
L’avis peut également être fait par le biais d’une mise en demeure.
La mise en demeure sera d’ailleurs a privilégié si le locataire souhaite obtenir des dommages ou une diminution de loyer pour les mêmes raisons qui justifient l’abandon de logement.
Cependant, le locataire qui utilise la mise en demeure doit s’assurer de respecter certaines formalités propres à l’abandon de logement, comme les formalités requises pour pouvoir récupérer le logement lorsque les problèmes le rendant impropre à l’habitation sont résolus.
Adresse temporaire
Le locataire qui souhaite récupérer son logement lorsque les problèmes le rendant impropre à l’habitation sont résolus doit obligatoirement aviser le propriétaire de sa nouvelle adresse ou de son adresse temporaire.
S’il omet ou néglige de fournir cette information au propriétaire, le bail sera automatiquement résilié, sans autre formalité, et le propriétaire pourra louer le logement à un nouveau locataire.
Article 1916 du Code civil du Québec
Preuve de remise de l’avis au propriétaire
Il n’existe pas de manière précise de transmettre l’avis au propriétaire, mais le Tribunal administratif du logement recommande l’un ou l’autre de ces modes de transmission.
Dans tous les cas, l’essentiel est d’avoir une preuve fiable de la réception de l’avis d’abandon de logement ou de la mise en demeure par le locateur.
Le paiement du loyer
Le locataire qui donne un avis d’abandon de logement n’a pas à payer le loyer pour la période pendant laquelle le logement est impropre à l’habitation.
Cependant, il devra continuer de payer le loyer si le logement est devenu impropre à l’habitation, par sa faute.
Article 1915 du Code civil du Québec
Il faut aussi noter que si le Tribunal administratif du logement conclut que l’abandon de logement a été fait sans droit, le locataire devra rembourser le loyer qu’il aurait normalement dû payer, nous y reviendrons.
Lorsque le problème est réglé
Avis du propriétaire
Dès que le logement n’est plus impropre à l’habitation, le propriétaire doit en aviser le locataire qui lui a donner sa nouvelle adresse ou son adresse temporaire.
Article 1916 du Code civil du Québec
Comme nous l’avons déjà mentionné, le propriétaire n’a pas à aviser le locataire qui ne lui a pas donner sa nouvelle adresse ou son adresse temporaire.
Il n’existe ni de modèle ni de forme particulière pour cet avis qui soit recommandé par le Tribunal administratif du logement. Dans les tous cas, il est recommandé de faire un avis écrit et de le transmettre par un moyen qui permet d’avoir une preuve de sa réception par le locataire.
Réponse du locataire
Après avoir reçu l’avis du propriétaire lui confirmant que le logement n’est plus impropre à l’habitation, le locataire doit, à son tour, aviser le propriétaire de son intention de récupérer le logement ou non.
Sa réponse doit être transmise dans un délai de 10 jours.
Article 1916 du Code civil du Québec
Enfin, il n’existe ni de modèle ni de forme particulière pour cet avis qui soit recommandé par le Tribunal administratif du logement. Les recommandations faites quant aux autres avis s’appliquent également à cet avis.
Le déguerpissement
Le déguerpissement peut être définit comme l’abandon de logement, sans justification.
Parfois, on conclut à un déguerpissement si les motifs de d’abandon de logement ne sont pas valables. Ce sera le cas, par exemple, lorsque le locataire qui abandonne son logement :
n’a mis en preuve aucune expertise à l’appui de sa prétention et identifiant un contaminant ou toute autre situation susceptible de constituer une menace sérieuse à la santé ou à la sécurité, ou encore un avis émanant d’une autorité compétente et déclarant le logement impropre.
Basillais c. Canadian International Finance Inc.
Ce sera également le cas également lorsque :
Le billet médical déposé est trop laconique pour faire la preuve à lui seul que le logement de la locataire était devenu impropre à l’habitation.
Basillais c. Canadian International Finance Inc.
Un déguerpissement peut également survenir lorsqu’un locataire quitte un logement, en emportant ses meubles et autres affaires, avant la fin du bail.
Article 1975 du Code civil du Québec
Conséquences
La première conséquence d’un déguerpissement est que le bail est résilié automatiquement, sans autre formalité.
Ainsi, ni le propriétaire ni le locataire n’a besoin de faire confirmer la résiliation de bail dans le cas d’un déguerpissement comme c’est le cas pour les autres situations qui peuvent donner lieu a une résiliation du bail.
Cependant, le propriétaire doit s’adresser au Tribunal administratif du logement s’il veut obtenir une compensation pour le loyer et les frais qui auraient dû être payé par le locataire qui a déguerpit avant la fin du bail.
Recours du locateur
La loi prévoit que le locataire doit payer le loyer convenu pendant la durée du bail et que le propriétaire peut avoir droit à des dommages lorsque le locataire ne respecte pas ses obligations.
Article 1855 du Code civil du Québec
Article 1863 du Code civil du Québec
Les dommages que le propriétaire peut réclamer ne se limite donc pas au seul montant du loyer perdu.
Dans certains cas, le propriétaire peut même obtenir des dommages moraux pour le stress et les inconvénients que lui a causé le déguerpissement d’un locataire.
Les frais
Dans d’autres cas, le propriétaire peut obtenir le remboursement des frais de courtier immobilier et des frais de publicités qui ont été engagés afin de relouer le logement.
Plus généralement, le propriétaire peut obtenir le remboursement des frais suivants :
Frais de dépistage pour retrouver le locataire qui a déguerpit |
Frais d’énergie (électricité, chauffage, etc.) |
Frais d’enquête de crédit du nouveau locataire |
Le propriétaire pourra également obtenir le remboursement des frais de justice, soit le montant payé pour faire la demande au Tribunal administratif du logement.
Cependant, il ne pourra pas demander les frais afférents à la préparation d’un dossier ou aux vacations auprès du Tribunal, à moins qu’il y ait eu un abus de procédure par le locataire.
Enfin, concernant les frais de nettoyage et de peinture :
Le Tribunal peut accorder les frais de nettoyage et de peinture seulement lorsque le locataire ne remet pas le logement, à son départ, dans son état initial sauf l’usure normale, la vétusté ou une force majeure.
[…]
Lorsque les travaux de nettoyage et de peinture font suite à une occupation normale du logement, le locataire n’assume aucune responsabilité à cet égard.
C’est le cas, notamment, d’un nettoyage régulier, des travaux de plâtre et peinture rendus nécessaires par l’installation de rideaux, stores, tableaux ou autres objets décoratifs aux murs.
Dans la mesure où il n’est pas établi qu’il y a eu abus ou détérioration anormale des murs ou du logement par le locataire, le locateur ne peut réclamer les coûts reliés à de tels travaux.
Par ailleurs, le locataire ne peut être tenu responsable des améliorations, rénovations ou réparations rendues nécessaires par l’usure du temps ou la vétusté du logement.
Labossière c. Lacroix
La perte de loyer
Le locataire qui déguerpit ne doit pas nécessairement payer tout le loyer jusqu’à la fin du terme prévu au bail.
En effet, il serait injuste de faire payer un locataire 6 mois de loyer alors que le locateur reloue son logement après 3 mois, par exemple.
La règle est que le locataire ne paie que les pertes locatives.
D’ailleurs, lorsqu’il évalue la somme que peut recevoir le propriétaire suite à un déguerpissement, le Tribunal administratif du logement évalue s’il a minimisé ses dommages.
En d’autres mots, il évalue si le locateur a pris des moyens raisonnables pour relouer rapidement le logement.
Généralement, le Tribunal exige que le locateur fasse cette preuve avec des documents, comme des annonces, ou avec d’autres pièces justificatives.
Le simple témoignage d’un locateur peut être insuffisant pour faire la démonstration d’une véritable minimisation des dommages de sa part.
Basillais c. Canadian International Finance Inc.
Voici une application concrète de ce principe.
Un locataire quitte son logement en décembre, alors que son bail devait se terminer, le 30 juin.
Le propriétaire s’adresse au Tribunal administratif du logement pour demander le paiement du loyer jusqu’à la fin du bail.
Il soustrait cependant un mois, parce qu’il a réussi à relouer le logement, le 1er juin. Il demande donc le paiement de 5 mois de loyer.
Le Tribunal rappel d’abord qu’ :
À partir du moment où un locateur apprend qu’un locataire quittera ou a quitté le logement, il a l’obligation d’entreprendre, sans délai, des démarches raisonnables pour relouer le logement, dans le but de minimiser les dommages qu’il encoure en raison de ce départ.
Lorsque les démarches pour relouer ne donnent pas des résultats satisfaisants rapidement, le locateur doit modifier sa stratégie afin de continuer à minimiser ses dommages.
Et le tribunal conclut que :
Dans le présent dossier, la preuve du locateur est insuffisante pour faire droit à la totalité de l’indemnité de relocation réclamée. Afin de minimiser ses dommages, il ne suffit pas de placer des annonces sur des babillards et sur « Facebook » et d’attendre. Si cela ne fonctionne pas, après un certain temps, il faut procéder à un effort différent.
Le Tribunal accorde donc une somme de 3 mois au lieu des 5 mois réclamés.